Interview de Jean-Louis Étienne, médecin/explorateur français

Suite à mon rapport “Follow your earth” ayant pour but de mieux comprendre comment impliquer la société dans la protection de l’environnement j’ai voulu interviewer des personnes engagées dans ce sens. J’ai eu la chance d’avoir Jean-Louis Etienne au téléphone , voici un petit résumé !

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Interview de Jean-Louis Etienne du 21/04/2017

A : Antoine

JLE : Jean-Louis Etienne

A : Qu’est-ce qui vous a poussé à inclure cette dimension pédagogique dans vos projets ?

JLE 01 :04 J’ai toujours aimé transmettre, comprendre et expliquer… ça me demande de me tenir en permanence informé… Ma difficulté c’est de trouver des mots simples pour expliquer des phénomènes complexes… juste sans dénaturer… ça demande beaucoup de travail.

A : Quels retours avez-vous eu ?

JLE 02 :00 ça fait 30 ans que je fais ça … le retour c’est surtout la rencontre avec les décideurs ou des professionnels qui me disent j’ai fais de l’océanographie, de la recherche… parce que vous m’avez envie donner de… c’est la meilleure récompense !

A : Susciter des vocations ?

JLE 02 :50 oui c’est ça … on me dit souvent ‘avec vous on comprend tout’. Mais j’ai aussi mis des années à me faire une culture… j’essaie de mettre en scène la connaissance pour la rendre attractive.

A : Prendre du recul fait partie de toutes les sagesses humaines… l’impact d’une vue aérienne… sur la perception du monde… la terre est ronde… les satellites… vous en pensez quoi ?

JLE 04 :00 les satellites nous donnent des informations mais l’avantage c’est qu’il travaille sans arrêt (nuit jour, jour férié etc…), ils ramènent des mesures sur la durée. Une campagne océanographique ce n’est qu’un cours labs de temps. Les satellites ça permet de donner des tendances…

A : Et cette prise de recul ?

JLE 05 :04 oui oui… aujourd’hui quand on parle de l’évolution du monde on agit en situations de crise, quand on regarde l’évolution avec du recul on voit que les phénomènes sont cycliques avec d’énormes inerties… Par exemple le changement climatique c’est sur la durée, j’appelle ça une « fièvre chronique », et pour soigner les choses sur la durée il faut s’y prendre tout de suite… les résultats ne sont pas visibles tout de suite, il faut persévérer et ne rien lâcher.

Le citoyen demande toujours qu’est-ce que je peux faire face  à ces énormes problèmes, moi je dis toujours « soyez efficace sous votre zone d’influence » et changer déjà les gestes au quotidien.

Personne n’a aujourd’hui la capacité à changer le monde, Trump, le pape… ils n’ont pas la capacité. Changer le monde ce n’est que l’addition de tous les changements individuels, donc si on est efficace sur cette zone d’influence parc convergence là on peut faire changer le monde

A : Vous votre zone d’influence ?

JLE 07 :28 moi mon parcours est très médiatique, la notoriété pour moi c’est une responsabilité mais aussi une force, avec le changement climatique et mes expéditions en cercle polaire on me considère comme un témoin privilégié

JLE 08 :10 mais par exemple la régression de la banquise c’est les satellites qui font ça, l’information ne vient pas de ce que l’on voit sur le terrain, elle vient de cette lente transformation progressive qui vient de la durée, comme les satellites, j’utilise surtout la connaissance scientifique mais je suis un témoin, un passeur d’informations, on regarde souvent les gens qui sont allés sur le terrain avec du respect en se disant « lui il est allé voir, ce qu’il dit c’est vrai »

A : On apprend d’abord la théorie avant la pratique, vous en pensez quoi ? Quelles sont vous vos clefs que vous jugez utiles ?

JLE 09 :39 Moi mes clefs … qui ont fait de moi quelqu’un de légitime avec la notoriété…   peut être un peu plus qu’un professeur lambda à moins qu’il soit charismatique… l’éducation ne peut passer que par l’engagement du professeur dans son enseignement, il faut donner envie à l’autre de vous écouter… et c’est un vrai show. Je pense que les enseignants devraient au moins faire un an de théâtre…

A : Manier la terre (mettre les mains dedans) ça pourrait faire partie de l’éducation ?

JLE 11 : 00 pour moi ça se tient… y’a deux niveaux dans ce que tu dis… moi je suis un manuel j’aime la matière et le terrain mais c’est un goût personnel, je suis allé sur le terrain par goût et par envie, je suis plutôt un logisticien.

JLE 12 : 47 j’invite les scientifiques à venir et sur ces missions-là moi je joue le rôle du passeur, c’est moi qui fait l’aspect pédagogique avec les satellites etc on touche beaucoup de classes et d’enseignants,

Les programmes qu’on peut faire avec les moyens de communication sont des bons vecteurs pédagogiques, ça veut dire qu’en amont d’une expédition … C’est super important de préparer l’écho que tu vas donner de ton projet à des fins pédagogiques, il faut se créer un réseau d’impact lorsque l’on fait soi-même les choses et petit à petit ça vient… parce que les enseignants sont au courant etc. on peut faire du temps réel, partager des missions sur le terrain, ce sont des outils pédagogiques forts.

C’est ce que je fais, c’est peut-être ce que tu veux faire, c’est bien ça se construit, c’est un métier, il faut s’y consacrer.

Sinon j’ai fait partie d’un comité sur le développement durable mais « c’est rasoir à souhait »

A : Justement… j’aimerais bien redynamiser et peut être que ça soit un peu moins rasoir

JLE 14 :34 tu as une culture scientifique ? Je pense que les chercheurs de terrain ou les chercheurs en général n’ont pas le temps ou n’ont pas la culture pédagogique … c’est-à-dire qu’il faut descendre d’un cran, dans le vocabulaire aussi pour la compréhension de tout le monde, c’est du travail, des textes courts sur des phénomènes complexes ça prend du temps… on acquiert petit à petit un vocabulaire… des images mais il faut s’y consacrer, les chercheurs n’ont pas le temps et l’envie pour ça, là il y a des gisements d’intérêt, il faut proposer ses services à des missions.

C’est-à-dire il faut te construire ta propre identité de pédagogue scientifique et creuser ton terrain sur les missions qui partent comme les bateaux qui partent en campagne…et tu arrives à la limite avec ton matériel et tu es le relai média, le relai pédagogique des missions, c’est quelque chose qui n’est pas du tout développé. Il y a certains scientifiques qui s’y coltinent et qui sont contents mais ils ne sont pas structurés pour ça, je suis convaincu que si tu as une légitimité dans le milieu scientifique, on doit pouvoir trouver des campagnes sur lequel tu te greffes, il ne faut pas que tu leur coute et que tu sois autonome financièrement et tu apportes ce complément… et donc petit à petit tu te crées une identité et tu peux développer ça professionnellement d’avantage…

A : Vous avez une bonne force d’esprit etc… pour maintenir le cap mais des fois beaucoup se prennent tous les problèmes dans la tête mais il y a un gros sentiment d’impuissance et de culpabilité… comment passer au-dessus ?

JLE 17 :21 c’est le phénomène de l’âge je crois… moi je suis surpris de voir des jeunes lycéens et étudiants…dans des manifs pour la retraite, ça soulève quelque chose chez moi qui me met mal à l’aise et qui m’assoit… ils ne sont même pas entré dans la vie qu’ils mettent déjà des voiles de tempête à la première brise. Moi je suis nait en 1946, le pays était divisé c’était la fin de la guerre etc. les collabos, y’avait la haine… mais c’était la jeunesse, c’était le temps de l’insouciance, je pense qu’il faut renouer, faire du positivisme de l’inconnu, moi l’inconnu m’a toujours excité… quand j’ai terminé une expédition je pense déjà à la suivante, c’est un champ d’exploration qui me plait.

En France on a l’éducation et la santé gratuitement… je veux dire que dès qu’on sort on se rend compte qu’on est extrêmement privilégié, on attend tout de la nation et pourtant… il y a une phrase de Kennedy qui est resté célèbre… « Ne vous demander pas ce que la nature peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez lui apporter ? »

Il faut que chacun ait une ambition pour ça et quand je dis ambition, c’est l’envie de faire quelque chose de bien de sa vie. Et c’est à la limite une machine qui se met en route, on est jamais insensible à quelqu’un qui veut bien faire, moi quand Danielle m’a appelé pour me dire est ce que tu veux écouter l’étudiant, moi celui qui fait une démarche pour mener sa vie on reçoit toujours de l’écoute

JLE 19 :21 c’est facile de dire ouais le chômage etc. moi je te dis je suis né à la fin de la guerre et ce n’était pas beau non plus quoi … ! Mais c’était ma jeunesse, et je pense que ce qui est important c’est d’inventer sa vie ! On a déjà tout que l’on ignore, nos forces, nos compétences… tant qu’on ne s’est pas engagé, qu’on n’a pas été confronté à ça, on a du potentiel et c’est ça qui est intéressant, je ne vais pas m’apitoyer.

Tout le monde n’est pas né dans les mêmes maisons mais moi j’ai quand même inventé mon histoire mais ça demande de la persévérance en fait, c’est le fruit d’un travail mais j’ai toujours fait les choses que j’aimais, je me suis toujours engagé pour les choses que j’avais envie de faire et j’ai toujours adapté ce que j’avais envie de faire au fonctionnement du monde. Je n’ai pas attendu que l’on invente la vie pour moi, je l’ai fait.

Si faire des projets pédagogiques à l’aide du spatial sur l’environnement t’intéresse, je te donne ce tuyau que je t’ai donnée, on a besoin de passeurs d’informations et de gens compétents pour le faire…

Alors les personnes qui le font aujourd’hui sont des journalistes dans les mags etc. y’a toujours LE spécialiste scientifique, c’est une voie, mais si tu veux aller sur le terrain, il y a des missions scientifiques ou tu peux apporter une contribution intéressante.

A : Pour faire germer la proactivité, ce serait plutôt mettre des graines de possibles plutôt que d’assommer tout le monde avec du réchauffement climatique et tout va mal quoi ?

JLE 21 :44 aaaah oui il faut montrer qu’il y a des solutions !!

On se fait applaudir lorsque l’on montre tout ce qui ne va pas, et puis ça termine toujours par les mêmes trucs : « il faut changer de paradigmes … » ça ce sont des mots creux car ce sont des mots de bonnes intentions, mais lorsque tu dis « il faut changer le monde » tu n’as rien dit, tu vois ? Tout passe par l’éducation et encore une fois « soyez efficace sur votre zone d’influence » ça passe par les choses que l’on a bien envie de se coltiner quoi.

A : Faire ça de bon cœur en quelque sorte ?

JLE 22 :28 oui, c’est une forme d’art de vivre, il y a du fun à faire les choses bien et c’est un peu comme quand on a donné une pièce à un mendiant…vous lui avez fait plaisir un moment… je pense que l’environnement c’est pareil… on ne peut pas tout changer radicalement mais si chacun apporte au quotidien des éléments de solution… c’est quelque chose qui est nourrissant… intellectuellement et en harmonie avec sa vie quoi…

C’est un métier de passionner les gens, une compétence, un talent que l’on acquiert en travaillant.

A : A titre personnel… vous êtes médecin de la nutrition en 30 secondes comment on fait pour bien manger ?

JLE 24 :00 est ce qui tu manges trop ? il faut avoir en tête 48heures de ce que l’on a mangé, il faut varier, mettre de la nourriture fraîche, crudités, fruits, légumes et ensuite sucres lents… pates riz patates, et il faut alterner les protéines animales, si tu manges deux œufs au plat c’est = à 100g de steak (ndlr. car je ne mange pas de viande) , y’a des poissons etc… ce qui est important c’est d’alterner et de varier… !

Merci Jean-Louis pour cette sagesse !

Antoine

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